
Enfance
Je suis né en Espagne de parents espagnols.
A l’âge de deux ans nous sommes arrivés en Suisse, à Genève, ma ville chérie où j’ai grandi et où j’habite toujours. Je ne suis pas né bilingue, je le suis devenu par la force des choses.
Quel choc lorsque, lors de ma première journée de classe, je réalisai brutalement que je ne parlais pas la langue de mes autres camarades ! « Il faut que tu fasses des petits traits », m’avait dit ma maîtresse en m’observant dessiner. Tiens, il me semble que je vois ce qu’elle veut dire par « traits ».
Une montagne semble devant vous…mais la magie de l’enfance fait que vous y arrivez, malgré tout, mais non sans effort. Environ une année plus tard je disais à un copain au préau lors de la récréation « N’empêche que… ». Je ne pouvais pas le traduire dans ma première langue, mais j’en connaissais la signification, et je me suis dit « tu parles français à présent… ».
Vacances d’été
Chaque été, nous allions en vacances dans le sud de l’Epagne, dans la région de Grenade.
Un voyage, voire une odyssée à l’époque de 1’800 kilomètres et 2 jours pleins de voiture, où seul mon père conduisait. Evidemment pas de climatisation, une température d’une autre planète en rentrant dans la voiture, après un lunch dans un resto au bord de la route. Nous coupions le voyage en deux, en passant la nuit dans un hôtel avant la ville de Valencia. Je me souviens dans le réfectoire, nous regardions la télé en espagnol pour la première fois après une année ! Mon père devant une bière bien méritée, j’étais si fier de lui… La récompense était à la hauteur. J’ai eu le bonheur d’avoir une grande famille et tous mes cousins m’attendaient. Une année, ils m’avaient extrait de la voiture par la fenêtre en me voyant arriver avec toute l’exaltation de revoir le « petit frère de Suisse » !
Tout ceci pour vous dire que j’ai passé toutes les vacances d’été en Espagne avec ma famille. Deux mois chaque année, car ma maman ne travaillait pas. Mon père retournait seul en voiture à Genève après un mois. Et nous le rejoignions en avion avec ma maman encore un mois plus tard. Je suis si reconnaissant envers mes parents. Ils m’ont tout donné.

Mises à jour de la langue à l’époque
Lors de mon adolescence, j’allais toujours en vacances en Espagne. Avec mes cousins nous nous étions liés d’amitié avec des jeunes de notre âge de Madrid, dont les parents aimaient venir chez nous en Andalousie.
Quel bonheur ces fêtes à l’époque avec un feu de joie sur le sable de la plage la nuit ! Quelqu’un sort la guitare et tout le monde chante. Pour ma part, je devais faire la « mise à jour » de la langue en live. Car une langue, ça évolue. Il y avait des nouvelles expressions, des nouveaux mots d’argot. Et il n’y avait pas de réseaux sociaux. C’était le téléchargement de la nouvelle version de l’espagnol moderne !
«Secondo» et fier de l’être
En tant qu’immigré de la deuxième génération, vous êtes ce que l’on appelle un « secondo ». Terme que je revendique pleinement !
Notre génération a eu le mérite de s’être parfaitement intégrée. Cela a été une vraie réussite et les Suisses ont également participé pleinement à ce succès. J’ai grandi dans un environnement multiculturel, avec d’autres amis qui étaient aussi immigrés, beaucoup venaient d’Italie. Mes potes étaient suisses, italiens, espagnols… On se chambrait aussi parfois. Mais cela nous a appris la connaissance et le respect de l’autre, une vraie leçon de vie.

le poster que je voyais affiché au mur de la classe des cours de scolarité espagnole
Scolarité bilingue
En parallèle de l’école obligatoire en Suisse, je suivais aussi la scolarité espagnole (grammaire, histoire, géographie). Ce fut un effort, de plusieurs heures en plus de ma scolarité par semaine. J’en avais même laissé tomber le karaté. J’étais pas mal pourtant !
Nous nous retrouvions entre Espagnols du quartier, une cohésion et complicité se créait entre nous.
Les profs sentaient que nous étions un peu à bout parfois, lorsque fatigués, nous apercevions la nuit bien noire à travers les vitres et avions envie de rentrer à la maison…
On en bavait tous un peu, mais on en bavait tous ensemble.
Un côté suisse grandissant
Dans ce pays leader dans le domaine financer, j’ai décidé de me lancer dans une carrière bancaire. Mon premier employeur fut une grande banque suisse où je suis resté 15 ans et vécu des moments incroyables tant au niveau humain que professionnel. Mes plus proches amis connus au lycée, étaient quasiment tous suisses.

Nous avons gardé une amitié très forte. Avec ce parcours, il me semblait complètement indispensable d’acquérir la double nationalité suisse et espagnole et je l’ai souhaité de tout mon cœur.
C’était une évidence et en fait une véritable libération. Oui je suis espagnol, mais je suis aussi d’ici et je veux faire partie intégrante du destin de mes deux peuples… Pour vous avouer, parfois je me sens à mon humble niveau, un peu ambassadeur de chaque pays. C’est une sensation qui me donne une satisfaction indescriptible.
Transmettre l’identité
Le jour où j’ai eu la plus grande émotion en parlant espagnol, c’est à la naissance de mon fils.
Moi qui n’avais jamais tenu un bébé dans mes bras, on me donne un nouveau-né tout en pleurs, d’une trentaine de secondes de vie ! « Voilà, le papa est là ! ».
J’ai puisé dans mon courage, dans ma voix la plus rassurante, la plus enveloppante. Et aussi dans ma première langue… La respiration de mon fiston s’est apaisée, ses pleurs se sont arrêtés.
Il semblait me regarder droit dans les yeux et écouter mes mots… Ce moment de vertige restera éternel. Nous avons une complicité énorme, et tout comme moi, il est si fier de sa double culture.


Double amour au foot aussi
Comme bon amateur de foot, j’ai toujours été un fervent supporter du Servette FC de Genève et Real Betis de Séville. Je vis ces 2 écussons et ses 2 couleurs de manière très forte et ils me donnent un frisson inexplicable.
Au niveau des équipes nationales, mon cœur bat aussi évidemment pour les 2 pays.

Nací para caminar a tu lado
Para que la humildad nunca se aleje
Y que mi fe nunca se agote
Para que cada momento, contigo y tu gente
Siempre sea una boda
Y que se nos humedezcan los ojos
Por el mero hecho de que existas
Para que mire al débil con cariño
Y que jamás le tema a nadie
Con tu escudo pegado al cuerpo
Para que tus alegres colores
Siempre brillen en mi horizonte
Aunque el cielo se oscurezca
Por todo esto, y mucho más
Y porque me elegiste tú primero
Te quiero
Real Betis